Au café avec Doula Chloé

Sa façon de parler de son métier et de ses motivations me touchent profondément. Chloé a eu la gentillesse de témoigner pour le blog et la magie, une fois de plus, opère 🙂 Bonne lecture et surtout, allez jusqu’au bout!

Bonjour Chloé, tout d’abord est-ce que tu peux te présenter en quelques mots?

Je suis Chloé, j’ai 36 ans, deux garçons, je suis française et cela fait maintenant 8 ans que j’habite en Finlande. J’ai travaillé dans l’univers du jeu, internet, le marketing, et maintenant je viens d’ouvrir un café. Je suis aussi doula.

Alors, c’est quoi une doula? Quel est son rôle?

Une doula, c’est comme une maman, une grande sœur. Son rôle est de soutenir émotionnellement une famille, principalement la maman et son/sa partenaire, pendant la grossesse, le jour de la naissance et après. Elle informe, soutient, encourage, protège l’intimité, l’espace, soulage la douleur, aide la femme a reconnaître sa force intérieure, à l’exprimer, aide aussi le/la partenaire à trouver sa place, se sentir utile.

Tu dis qu’une doula est comme une maman ou une grande sœur…Mais si on a déjà une maman ou une grande sœur, avec qui on s’entend bien, que peut apporter la doula en plus ou de différent?

La doula (au contraire de la grande sœur ou de la mère) doit savoir taire ses propres angoisses. Elle a aussi des connaissances sur la naissance physiologique, le cocktail d’hormones, les bénéfices et risques des interventions. Elle a des connaissances pratiques sur les positions et techniques pour que la douleur ne devienne pas souffrance.

La doula a suivi en principe une formation. Elle a participé à des ateliers sur différents thèmes pour approfondir ses connaissances, qui dépassent le registre de sa propre expérience.
Elle a une vision globale.

Concrètement ça se passe comment? Ce sont des RV réguliers?

Cela dépend de la doula et de la « formule » choisie. Certaines doulas ont une spécialité et font des préparations à la naissance, en groupe ou en solo, avec des cours hebdomadaires (chant prénatal, hypnose, yoga). Mais le scénario classique, c’est plutôt : premier rendez-vous, gratuit en principe, une présentation de part et d’autre. La doula parle de son parcours, la femme parle de ses expériences, ses envies, ses besoins. La rencontre permet de voir si la doula et la maman sont compatibles, si cette équipe est faite pour s’entendre, si la confiance est là. Ensuite on fixe un ou deux RV avant la naissance, la doula se rend disponible pour le jour de la naissance si désiré et un nouveau RV est fixé post partum.

Il y a plusieurs sortes de doulas : les doulas spécialistes de la naissance, les doulas post partum…

Photo: Freestocks on Unsplash

Est-ce que par exemple tu es joignable pour un RV improvisé si la maman a besoin de soutien, ne se sent pas bien ou a besoin de parler?

Je suis toujours joignable. Je tiens à supporter la maman du mieux que je peux. Je ne me suis jamais sentie envahie. Les mamans ont d’ailleurs tendance à ne pas oser demander de l’aide, à se dire que ça va passer ou qu’elles peuvent assumer seules. C’est dommage.

Est-ce que tu travailles en collaboration avec la sage femme et l’équipe médicale? Je ne sais pas si en Finlande, comme en France, la grande majorité des accouchements se passent à l’hôpital/clinique ou bien à la maison ou en maison de naissance.

Je trouve que l’ambiance en salle de naissance (ou tout lieu où la femme donne naissance) a un impact sur l’état émotionnel de la mère et donc l’issue de la naissance. Je tente donc de sympathiser avec les équipes médicales, je leur prouve que nous sommes complémentaires, que je suis là pour faciliter une fin heureuse et en conséquence, leur travail. Mais bien sûr, en milieu hospitalier il y a des protocoles à respecter, ces protocoles changent d’un établissement à un autre et certaines sages-femmes sont aussi plus ouvertes que d’autres. On s’adapte en gardant comme objectif le bien-être de la maman.

Les naissances se passent en majorité à l’hôpital. En 2016 il y a eu 47 naissances à la maison sur 53614 naissances. 

Est-ce que tu donnes aussi des conseils sur les positions d’accouchement par exemple, ou est-ce réservé à la sage-femme?

Je conseille sur les positions oui. En préparation à la naissance, j’offre des alternatives à la position « classique » (allongée sur le dos, pieds dans les étriers) qui peut ralentir le processus naturel de la naissance et provoquer des complications. J’incite la femme à se mouvoir, à expérimenter diverses positions: à quatre pattes, accroupie, debout le pied en appui sur une chaise. Je présente divers accessoires : le ballon, la cacahuète, le tabouret suédois, le rebozo, etc. Je propose aussi des positions de couple.

Est-ce que tu conseilles sur l’allaitement?

Pour l’allaitement, je fais surtout de la prévention et je donne des conseils pour faciliter l’allaitement (et la blacklist des obstacles). Je me réfère à La Leche League pour les problèmes ponctuels et je préfère renvoyer la maman à une consultante en allaitement. Une fois que j’aurai suivi une formation en allaitement, je me sentirai suffisamment qualifiée pour ajouter cette spécialité à mes qualifications.

Photo: Mark Adriane on Unsplash

Que t’apporte, selon toi, le fait d’être française, dans ce que tu proposes à Helsinki (et alentours), et d’avoir eu tes deux enfants en Finlande?

Je pense que la French touch d’une doula, en Finlande, c’est le côté tactile, mais aussi l’empathie. L’empathie est inconditionnellement un plus. La côté tactile, la démonstration physique de tendresse, ne plaît pas à toutes. A voir donc au cas par cas.

Et le fait d’avoir eu des enfants en Finlande, oui, ça aide. Je connais les étapes du suivi médical du service public, les protocoles, les infos pratiques.

Et au niveau de la façon d’être maman (je sors un peu du sujet doula) est-ce que tu notes des différences fortes?

La différence la plus forte que j’ai notée : les mamans finlandaises ont tendance à donner plus de liberté et plus de responsabilité à leurs enfants, jeunes. Elles les laissent expérimenter, faire des «bêtises ». Les mamans françaises auraient plutôt tendance à discipliner leurs petits, à interdire. « Fais pas ci, fais pas ça ». « Mange ta soupe ». « Dis bonjour à la dame ». Ça résonne. Je pense qu’il y a tout de même une tendance commune, une volonté de revoir l’éducation du point de vue de l’enfant. Il y a en France comme en Finlande de plus en plus de mamans convaincues du maternage proximal (attachment parenting), intéressées par les neurosciences et le développement du cerveau de l’enfant. Il y a une tendance globale pour un retour aux sources, au naturel. Bien sûr, en Finlande, il y a une certaine dualité nature/technologie. La nature est là, on la respire, les forêts, les lacs, les animaux… mais la technologie aussi (la Finlande, c’est aussi le pays de Nokia et Angry Birds).

La dernière question: qu’est-ce qui t’a poussée à devenir doula?

J’ai eu deux expériences, deux accouchements, deux allaitements complètement différents et me suis rendu compte que la façon dont les femmes sont traitées a un véritable impact sur la façon dont la naissance et les suites de couches, la relation avec le bébé aussi, vont se développer. Pour la première naissance, j’étais zen et confiante, je me sentais invincible (puisque je l’avais décidé). Malheureusement, une infection de type streptocoque B a effrayé les sages-femmes et l’obstétricienne. Le protocole et mes rêves de naissance « naturelle » qui s’envolaient en fumée m’ont atteinte. Je me sentais prisonnière de la situation.

Pour mon deuxième bébé, j’ai eu la naissance dont j’avais rêvé. J’ai pu faire le gros du travail dans la baignoire de l’hôpital. J’avais l’impression d’être au spa. Je me sentais bien, apaisée, aimée. La maternité était si calme ce matin d’octobre. Mon fils était beau, intact et son allaitement s’est très bien amorcé et a duré deux ans et demi.

« J’ai expérimenté le courage, la foi, la force en moi. »

En entendant les témoignages de femmes, je suis persuadée que mon ressenti concernant la naissance de mon premier enfant aurait pu être positif grâce à la présence d’une doula. Je pense aussi avoir souffert d’un certain manque affectif pendant l’enfance. Dans les pays anglophones on dit de la doula que son rôle est aussi «mothering the mother». Et je pense que cette attention particulière, ce regard bienveillant et confiant est nécessaire. Il donne l’élan à la petite fille pour devenir femme et l’élan à la femme pour devenir mère. La femme possède bien sûr des ressources insoupçonnées pour se materner elle-même mais le chemin est plus long et plus escarpé. La doula écoute, observe, informe, supporte, ne juge pas et ne transmet pas ses propres angoisses. Elle est complémentaire de la présence physique des partenaires amoureux, de leur regard compatissants et admiratifs. La doula tente d’être une femme sage sans jouer à la sage-femme. Elle ne prend pas de décision mais encourage la femme à trouver son propre chemin. Donner naissance peut être un événement tellement transformateur. La naissance de mon premier fils a fait de moi une maman. La naissance de mon deuxième fils m’a révélée à moi-même. Je me suis sentie divine. J’ai expérimenté le courage, la foi, la force en moi. C’est cet amour qui m’a endurcie mais aussi reconstruite. Et j’aimerais que toutes les femmes et en conséquence toutes les familles bénéficient d’une expérience positive de naissance. Pas forcément une naissance naturelle, mais une naissance qui prend soin de la femme, qui la respecte, qui l’entoure d’attention et d’amour.

Quel message aimerais-tu envoyer aux futures mamans?

Aux futures mamans, j’ai envie de dire : Croyez en vous, en vos ressources cachées. Entourez-vous d’amour et de douceur. Ecoutez votre instinct animal: tapissez-vous dans l’ombre, à l’abri des regards, changez de position régulièrement, laissez votre corps s’exprimer, rugissez comme une lionne si votre corps vous l’ordonne. Entrez dans une bulle et laissez-vous flotter. Questionnez les interventions si vous avez un doute sur leur nécessité. Protégez votre bébé et votre espace.

Après la naissance du bébé, apprenez à dire non aux visites qui épuisent et osez demander de l’aide, du soutien. La vie de maman, de parent, n’est jamais simple. Notre société individualiste nous pousse à tout assumer seuls. Une fois le précieux bébé sorti de son coffret utérin, la mère est souvent délaissée. Les nuits blanches, les cernes, la faim, la soif, les crises de larmes, les hormones qui font les montagnes russes, les doutes, le corps qui se transforme…

Les mères ont besoin de soutien, d’encouragement et de valorisation à tout moment de leur maternité. Ce sont elles qui portent le monde sur leurs épaules. Pour résumer : vous êtes des déesses, magnifiques et puissantes.

Ilmatar, Joseph Alanen, 1913-1916

La légende d’Ilmatar: https://www.ilmatardoula.fi/origine-d-ilmatar

Le (très beau) site de Chloé : Ilmatar Doula

Et sa page Facebook : https://www.facebook.com/ilmatardoula/

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A savoir: le métier de doula s’exerce différemment selon les pays, elles ne sont pas forcément présentes à la naissance par exemple. En France, vous pouvez consulter le site de l’association Doulas de France , et Isabelle Challut (Québec) avec son Centre Pleine Lune a également formé de nombreuses praticiennes en France.

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Logo Ilmatar Doula: par Topias Dean
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